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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

factices, ce parisianisme ne s’est maintenu que par la continuité des mêmes moyens. Il ne se fait pas sur place ; on devra nous l’expédier du dehors, jusqu’à ce qu’une dose suffisante de sang étranger soit inoculée dans les veines lorraines. — Mais, Sturel, sous cette domination superficielle, une humble sensibilité s’étend encore, profonde, et dont j’attends qu’un jour elle vivifie la France lassée.

Ils avaient fort bien déjeuné avec un brochet de la Moselle et du vin de Rayon ; c’était à peu près deux heures.

— En selle ! s’écriait Saint-Phlin, enfonçons-nous sous cette civilisation à la parisienne et pénétrons dans les catacombes de la vie locale.

Que valent, auprès de Lunéville et de Nancy, les Flavigny, les Messein, les Pont-Saint-Vincent, qui marqueront les obscures étapes de Sturel et Saint-Phlin jusqu’à Toul, à travers un pays presque sans chemin de fer ! Mais, dans ces plaines agricoles négligées, on voit la terre franche et la végétation humaine qu’elle produit naturellement.

Les deux cyclistes jouissaient beaucoup du paysage, parce que, au lieu de promener leur œil superficiellement comme sur un ensemble déjà vu, ils s’occupaient à replacer mentalement les individus et les choses dans le milieu historique auquel ils survivent. La motte de terre elle-même qui paraît sans âme est pleine de passé, et son témoignage ébranle, si nous avons le sens de l’histoire, les cordes de l’imagination.

Les villages lorrains actuels remontent aux premiers établissements des tribus celtiques. La communauté pastorale et agricole, que César appelait