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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

région de terrain. Notaire, médecin, député, fonctionnaires, employés des chemins de fer, tous, directement ou par des intermédiaires échelonnés, vivent dans sa dépendance. Lui-même se ligue avec des égaux pour résister à de plus puissants. C’est une féodalité, comme jadis, à la fois exploiteuse et protectrice.

Ce qui exalte surtout l’imagination des deux jeunes gens, c’est un point d’histoire noté par Saint-Phlin. On se figure à l’ordinaire que, dès le siècle dernier, la liberté civile était établie d’une façon générale dans les provinces. Eh bien ! en 1789, les habitants de Custines sont « si sujets à leur seigneur que celui-ci peut prendre tout ce qu’ils ont, à leur mort ou durant leur vie, et leurs corps tenir en prison, toutes les fois qu’il lui plaît, soit à tort, soit à droit ». Très probablement, cette triste situation datait du temps où ils cultivaient comme esclaves ruraux sur ces pentes mosellanes quelque villa gallo-romaine. Le 4 août 1789, l’Assemblée nationale les libéra et voici qu’en juillet 1889 Sturel et Saint-Phlin les voient retombés dans une pareille servitude de fait.

Bel exemple de la prédestination des races ! à peine la maison seigneuriale abolie, de nouvelles seigneuries enfoncent leurs racines jusque dans les couches profondes du minerai de fer ! Sturel y trouvait ce plaisir cruel que procure à certaines sensibilités une vue claire de l’irrémédiable injustice de la vie ! Mais revenant à son affaire, il disait :

— C’est décourageant, cette persistance d’un même phénomène à réapparaître sous des formes variées, tandis que les influences politiques sont déplacées.