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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

a perdu son élégance de bon ton, fameuse avant la guerre. Et cela, loin de leur déplaire, ajoutait à leur affection. Peut-être l’eussent-ils moins aimée, à la voir, en même temps qu’un lieu sacré pour la patrie, un riche entrepôt ou une belle œuvre d’art. Ils lui savaient gré de favoriser un sentiment désintéressé. Il suffisait qu’elle existât juste pour mettre de la chair vivante autour de leur notion abstraite du patriotisme.

Depuis cinq jours qu’ils voyageaient et bien qu’ils eussent compris avec affection chacune de leurs étapes, ils n’avaient pas encore ressenti la qualité de tendresse que leur inspira cette cité pour laquelle ils eussent été heureux de faire un sacrifice. Les jeunes femmes de Metz font voir un type particulier de douceur qu’ils retrouvaient dans la physionomie d’ensemble de la ville. Sa vaillance, son infortune, son cœur gonflé les enivraient d’une poésie qu’ils n’auraient pu lui exprimer que les deux genoux à terre et lui baisant la main.

— C’est, pensaient-ils, l’Iphigénie de France, dévouée avec le consentement de la patrie quand les hommes de 1870 furent perdus de misère, sanglants, mal vêtus sous le froid, et qu’eux-mêmes, les Chanzy, les Ducrot, les Faidherbe, les Bourbaki, les Charette, les Jaurès, les Jauréguiberry renoncèrent. Toi et ta sœur magnifique, Strasbourg, vous êtes les préférées ; un jour viendra que parmi les vignes ruinées, sur les chemins défoncés et dans les décombres, nous irons vous demander pardon et vous rebâtir d’or et de marbre. Ah ! les fêtes alors, l’immense pèlerinage national, toute la France accourant pour toucher les fers de la captive !