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L’APPEL AU SOLDAT

pagne de Russie avec la Grande Armée, dans le même corps que le grand-père de Sturel ; lui-même racontait sa présence, en 1870, au siège de Paris. On voyait bien qu’il ne se sentait pas de responsabilité dans ces vicissitudes humiliantes de sa petite patrie. État d’esprit incompréhensible pour un prolétaire parisien ! cet indigène subissait les phénomènes politiques comme la pluie, le soleil, les orages et la mort, sans y intéresser ses nerfs, avec une résignation de serf. Et Sturel, humant l’air dans la direction du Rhin, dit à Saint-Phlin, qui le trouva irrespectueux, mais sourit :

— Je commence à sentir Gœthe et les doctrines un peu serves de l’acceptation.

Entre deux villages, un orage les surprit. Ils comprirent alors la destination des nombreuses petites chapelles élevées sur le côté des routes. Ce sont des abris qu’un signe religieux protège contre les brutes ou contre les jeunes gens turbulents jusqu’à la dévastation. On tend à leur substituer des cafés ; il plaît mieux cependant que des filles, sous leurs jupes relevées en capuchons, courent s’abriter vers un autel de la Vierge. Et puis leur dimension en fait d’excellentes remises pour bicyclettes. Saint-Phlin ne répugnait pas à interpréter ainsi le catholicisme comme une administration civilisatrice. Sturel, en principe, eût préféré à ces chapelles hospitalières les terribles crucifix des carrefours d’Espagne ; mais le calme bienfaisant de cette terre, à laquelle les associait étroitement la fatigue de cinq cent soixante-dix kilomètres, lui modérait l’imagination.

Vers les sept heures du soir, quand ils arrivèrent dans Coblence avec la Moselle, ils étaient, comme