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L’APPEL AU SOLDAT

sur notre sol lorrain les espèces locales, parce qu’elles résistent mieux à l’envahissement des graines d’outre-Rhin, c’était le rôle d’un César. De la méthode électorale où ses conseillers l’engagent, je n’attends rien. Ce sauveur qui veut que les petites gens le sauvent ignore notre tempérament politique. Si positifs que soient les intérêts liés à notre patriotisme, que seuls les observateurs superficiels croient d’ordre sentimental, nos populations n’interviendront pas dans le débat du Général et des parlementaires. Elles se bornent à lui donner le droit moral de saisir le pouvoir à Paris et la certitude que la France acceptera le fait accompli. Qu’il ose et qu’il réussisse !

— Pourquoi ne viens-tu pas à Londres ? dit Sturel, inquiet.

— À Londres ! Oh ! je ne prétends pas lutter de dialectique avec M. Naquet. Ma tâche, et je ne crois pas choisir la plus vaine, c’est de fortifier mon petit pays. Sais-tu ma conclusion de notre enquête ? Je me décide à me marier. Je serai un chaînon dans la série lorraine, et, si Dieu le permet, mes enfants auront des cerveaux selon leurs aïeux et leur terre. Et sais-tu bien, au lieu de te fixer à Paris, reviens avec ta mère à Neufchâteau et imite-moi.

Sturel distingua dans cette philosophie quelque chose d’égoïste et de satisfait. À cette façon de dire « imite-moi », il sentit en outre que son ami prenait de soi-même une opinion orgueilleuse et desséchante. Comment ose-t-on ériger en loi sa méthode propre, sa convenance, et proposer à un égal d’abandonner ses buts naturels ! Sturel se tut et pensa avec une affection tendre à l’exilé de Londres. Tout l’après--