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L’APPEL AU SOLDAT

persée dans le ciel. Il jouit d’une de ces heures, très analogues aux délices que la musique procure à ses amateurs, où c’est en nous comme un coup de vent qui fait bruire toutes les feuilles de la forêt. Sans interroger personne, il se plut à chercher lui-même, à travers tout Saint-James, la rue de la Ferme. Ce mystérieux petit quartier de maisons étendu sur la pente de la Seine, si mort, si secret, éveillait en lui des images d’Orient.

Quand il atteignit la grille où sonner, son cœur battait de rejoindre une femme attristée, dans des lieux déserts et parfumés de fleurs, sous le dernier éclat du crépuscule. Qu’espérait-il de son passage ? sa volonté tendait uniquement vers Londres. Mais il aimait que les passions lui fissent entendre tous leurs accents.

Mme  de Nelles avait à dîner Rœmerspacher et deux indifférents de son cousinage. Son accueil à Sturel voulait paraître gracieux et banal, mais gâta de nervosisme toute la soirée. Elle souffrait encore s’il s’absentait, et près de lui elle ne pouvait plus qu’irriter son regret de ne pas suffire à remplir une vie.

Sturel, tout plein de son sujet et pour répondre à des questions d’une ironie assez âpre sur la bicyclette, que Mme  de Nelles trouvait ridicule, sur la Moselle, dont elle ne voyait pas l’intérêt, raconta son voyage.

— Dans un village, disait-il, une date sur le linteau d’une porte, un petit air de forteresse que garde l’église, une dépression de terrain qui rappelle sous de belles cultures d’anciens fossés, voilà des objets sans beauté, mais où ma pensée se fixe et s’enfonce durant de longues heures, mêlant le plaisir de com-