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L’APPEL AU SOLDAT

même du boulangisme faisait le principe et assurait la durée de son ministère. De là cette réponse, prononcée avec un accent paternel et de si haut que le journaliste douta un instant si son interlocuteur avait assassiné Puig y Puig et dépouillé Norodom :

— Allez à Jersey, mon cher collègue. On devrait choisir son parti avec soin, mais, une fois fixé, il ne faut pas changer. Accompagnez vos amis. Je compte sur votre sagesse pour les convaincre que seule leur tranquillité peut maintenant atténuer leur tort vis-à-vis du pays. Venez à votre retour me donner des nouvelles de votre voyage. J’apprécierai certainement l’opinion d’un homme de votre valeur.

— Et vous êtes sûr que la Chambre me validera ? interrogeait le pauvre garçon, obligé lui aussi de se lever, mais qui ne se décidait pas à accepter ce congé courtois.

— Sûr ? monsieur Renaudin, je ne dis pas cela. Nul ne dispose des volontés d’un Parlement. Et puis votre talent ajoute aux difficultés. Par votre mérite même, votre nom est un des plus signalés à la prudence légitime du parti républicain. Je ne cacherai pas, si l’on m’interroge, que vous vous êtes assagi. Mais, dans les journaux, vous avez des relations, des camaraderies, usez-en. Tenez, si je pouvais répandre ce que me répétait votre ami Suret-Lefort, et qui vous fait grand honneur : votre indignation quand vous avez vu les boulangistes livrés par leurs chefs aux réactionnaires, cela pèserait dans les décisions de la Chambre. Je ne vous demande pas de m’écrire à moi-même, mais vous êtes un homme d’esprit, donnez-moi le moyen de vous être utile.