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L’APPEL AU SOLDAT

accouraient au cercueil de celui qui, toute sa vie, posséda le don de faire surgir les foules.

Arrivé péniblement jusqu’à la rue Montoyer, Saint-Phlin soudain, comme dans une eau plus calme, se sentit dans le vrai deuil. On s’effaçait devant sa couronne, les regards se comprenaient, des mains inconnues se tendaient : il reconnut sur ces visages la France qu’il aimait, la patrie selon sa conscience. Voilà, massés près de la porte mortuaire, les braves gens de notre pays, son cœur, ses délégués. Dans le train tout à l’heure, ils pouvaient faire les commis voyageurs ! Maintenant ils s’accordent avec les sentiments que leurs comités les chargèrent d’exprimer. Chers amis dont le Général fut un beau reflet ! Le sentiment de la fraternité envahit enfin ce pèlerin réfractaire et le remplit d’affectueuse émotion pour ces collaborateurs inconnus de son rêve national.

Sur le seuil, il trouva Sturel, que Fanfournot désignait en disant :

— Voilà l’un des honnêtes. Il a donné sa démission de député parce qu’il voulait agir.

Puis, plus bas, à Sturel lui-même ;

— Citoyen, la Léontine vous approuve.

Il débarrassa Saint-Phlin de sa couronne et la posa sur les monceaux accumulés de fleurs, tandis que les deux amis s’embrassaient.

— Tout est donc fini, dit Saint-Phlin.

— Ou bien tout commence, répliqua Sturel, bouleversé des témoignages qu’il recueillait.

— On serait tenté de sentir comme toi, démocratiquement. J’admire le cœur de Fanfournot. Mais ne laissons pas nos nerfs nous duper : les destinées d’un pays sortent d’un concert du chef et des princi-