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LA FIÈVRE EST EN FRANCE

de tels instants ensemble, on ne se quitte plus. »

Il faut toujours une traduction plastique aux sentiments des Français, qui ne peuvent rien éprouver sans l’incarner dans un homme. M. Thiers, dans sa dernière période, on se l’est représenté assis, avec de grosses lunettes, tandis que la Chambre debout acclame le « Libérateur du territoire » ! Et cela touche ceux qui s’intéressent aux opérations du budget. — Gambetta, ou le « Rempart le la République », on l’a vu, le bras toujours tendu, s’écriant : « Se soumettre ou se démettre ! » et cette bonne insolence enthousiasme les comités. — Mais un général, c’est encore plus significatif de force qu’un orateur, car il peut empoigner les bavards. Et celui-ci. Paris l’a suivi, acclamé, chanté, qui marchait à quinze pas en avant de toute l’armée. Comme il était jeune, et brave, et cher à cet immense public ! Sa revue du 14 juillet, reproduite par les dessinateurs, commentée par les journaux et les cafés-concerts, c’est l’attitude où il se fixe dans les imaginations. En lui, pour la première fois, le peuple contemple l’armée moderne, pénétrée par l’esprit de toutes les classes, où les militaires non professionnels, réservistes, territoriaux, tiennent une si large place. Ce Boulanger, qui a tendu la gamelle aux grévistes, qui a voulu rapprocher le troupier des chefs, qui a « relevé le pompon » et devant qui l’Allemagne recule, la France le conçoit comme le soldat au service de la République et peut-être l’accepte protecteur de la République. En face du terne Élysée, habité par un vieux légiste incapable d’un mouvement venu du cœur qui seul toucherait les masses, le jeune ministre de la Guerre,