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AUTOUR DE LA GARE DE LYON

qui venait de tomber bénéficia de cette épouvante. Cette folie cependant, avec des zigzags brutaux, arrivait à la hauteur d’une locomotive qui siffla et s’enveloppa de fumée. Dans ce nuage, le Général. avec l’aide des employés, soudain se dégage et monte auprès du mécanicien. Les quelques centaines de fanatiques qui le serrent assez pour voir, se jettent devant la machine comme aux naseaux d’un cheval. Quelques-uns se couchent sur les rails, mais le monstre les épouvante de sa vapeur précipitée, de ses sifflets et de sa masse qui déjà s’ébranle. Dix mille personnes qui n’ont pas compris la manœuvre reprennent en chœur : « Vive Boulanger ! » Il s’évade de leurs compromettantes amours. Les plus énergiques des idéalistes et des habiles qui composent cette foule ne luttent plus que pour s’accrocher à ce grandiose remorqueur. Leur grappe aventureuse couvre les étroites plates-formes, les marchepieds, tous les espaces ; la lumière du gros fanal de front est demi-voilée par le corps de l’aide de camp Driant, qui l’étreint, et qui dans cette position à faire frémir, se laisse emporter pour ne pas quitter son chef.

C’était neuf heures quarante. À dix heures, le formidable essaim boulangiste qui est venu si étrangement s’abattre en pleine gare de Lyon, privé de ses frelons, consent enfin à se disperser. Blanquistes, ligueurs, simples curieux vont raconter à Paris combien ils étaient enthousiastes, et par leurs récits ils multiplieront encore les enthousiastes.