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AUTOUR DE LA GARE DE LYON

vieux M. de Lesseps soit merveilleusement courtois et habile, son fils Charles l’esprit le plus clair et le plus net, tous leurs collaborateurs de beaux types d’audace optimiste et de force laborieuse, ce n’est pas ce qui détermine les sympathies de Bouteiller. Par des raisons secrètes à lui-même, mais plus puissantes que des besoins d’argent ou des calculs politiques, il s’oriente sur ces milieux financiers ou industriels comme sur les points où, à cette date, son intelligence et, mieux encore, sa sensibilité trouveront leur nourriture.

Dès son entrée à la Chambre, dans ces conversations professionnelles au cours desquelles des politiques tout neufs citent les plus beaux discours selon leur goût, critiquent un point de l’histoire parlementaire, touchent au fin du fin, à l’aigu du métier, Bouteiller souvent revenait sur une même idée : « Vous avez tort, messieurs, de ne pas voir une conséquence des modifications générales ! Le temps n’est plus où un homme public pouvait être un lettré, un juriste : il faut qu’il soit pénétré de l’esprit commercial, industriel, financier. Séparer de la politique les grandes affaires, c’est méconnaître les nouvelles conditions de la vie. »

Dans cette période où il ne comptait encore que des succès et quand tout conspirait pour lui donner confiance dans les longues et pleines carrières de la vie, ces motifs de métaphysique politique et les nécessités de son alimentation intellectuelle suffisaient par leur accord à le déterminer. Il préférait à son immense acquis livresque les connaissances spéciales qu’il se procurait, par un travail autrement pénible, en dépouillant des rapports et des statis-