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L’APPEL AU SOLDAT

qu’il maîtrisera aisément les politiciens, grâce à l’amitié des braves gens dont il emporte l’acclamation dans ses oreilles.

Il ne manque pourtant pas d’une honnête habileté dans le privé : il a dû mettre en valeur ses réels mérites pour arriver général le plus jeune de l’armée ; il a su plaire à Rochefort, se ménager une feuille de grande action, la Lanterne, trouver quelque argent. Mais quel défaut de science politique ! Il n’a certainement pas examiné l’histoire de la troisième République ; il ignore combien sa popularité arrive à point, au moment où se perd la doctrine gambettiste, quand tous les partis parlementaires, à droite, au centre, à gauche, sont privés d’âme et que, la période de lutte contre les systèmes monarchiques étant close, la République a besoin de montrer enfin une autorité de gouvernement. Pourvu qu’il n’aille pas se placer, comme font trop souvent les natures fières, sur le terrain où le veulent attirer ses adversaires ! Que son ambition patiente, et elle accomplira de grandes choses morales. Bonaparte, suspect au Directoire, partit pour l’Égypte.

Les cahots du train lui font perdre le fil de ses idées, et maintenant, avec tous les désirs d’un sous-lieutenant, il pense à Mme  de Bonnemains, auprès de qui, depuis sept mois, il trouve ce que le mariage et les aventures lui avaient laissé inconnu.

Quoi ! le triomphateur de la gare de Lyon, se distraire si vite de pensées qui occupent la France et dont il fait le centre ! — Acceptons-le avec ses défauts à la française, et même félicitons-nous qu’il dispose de cette femme. À défaut d’un commandement lointain, qu’il s’absente dans le plaisir ! Qu’elle