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JOURNÉE D’AGONIE DE REINACH

Voici comment M. Clemenceau résume ce dernier instant :

« M. Reinach m’a serré la main, en montant en fiacre, et m’a dit : — Je suis perdu. — Je voyais un homme frappé à mort, mais je ne savais pas pourquoi il était perdu ; je l’ai quitté et je suis rentré à pied chez moi. »

Ainsi Clemenceau et Rouvier, à les croire, avaient accompagné ce gros homme « par un sentiment de pitié », et ils l’abandonnent quand il ne dit plus : « C’est une question de vie ou de mort », mais tout au court : « C’est ma mort. » Ils l’abandonnent dans la rue, à l’heure du jour la plus mauvaise conseillère. Clemenceau remonte de son pas sec et décidé, la canne en moulinet, vers la rue Clément-Marot. Paris retentit des journaux du soir et, entre tous, de cette Cocarde qui de rien monte brusquement à des tirages de 300,000. « Demandez la Cocarde, sa cinquième édition : le Panama à la Chambre. Les mensonges de Floquet. Les poursuites pour escroquerie contre le baron de Reinach. » Un tourbillon de colère et de badauderie, qui depuis un mois grossit, vient d’enlever tout ce qui traînait de soupçons et de petits faits pour en composer une trombe formidable, que nulle intrigue pour l’instant ne rompra, mais que l’on peut jeter sur quelque victime expiatoire.

Vers huit heures, quand du fiacre payé par