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LEURS FIGURES

Bouteiller, au lycée de Nancy, lui avait enseigné les attitudes nobles et l’autorité du ton ; la vie de Paris, qu’il réduisait, tant était forte sa passion, à la Conférence Molé, venait d’en faire un être absolument étranger à la notion du vrai ; le Palais-Bourbon le compléta en lui donnant de la lâcheté. De ce jour, le Parlement s’augmentait d’un digne parlementaire et la France d’un roi.

Aucune éducation ne transforme un être : elle l’éveille. Fils d’un homme d’affaires, ingénieux et véreux, Suret-Lefort — à l’encontre de Bouteiller, fils d’ouvrier — ne possède pas un esprit religieux. On voit bien ce qu’un Bouteiller ne ferait point et, par exemple, qu’il ne trahira jamais son parti : rien ne serait plus indifférent à Suret-Lefort. Il est déraciné de toute foi ; il subit simplement l’atmosphère, les fortes nécessités du milieu ; il ne devient pas, comme Bouteiller, le Parlement même, mais il se compose « à l’instar » du Parlement. De la même manière qu’une Suissesse ou une Luxembourgeoise, si elle se fait servante à Paris, sans devenir Parisienne, prend les pâles couleurs et abandonne son tempérament propre, le jeune député si brillant, remarquable jusqu’à cette heure par sa confiance en soi, commence de pâlir et de trembler.

La peur ! Elle entre toujours dans la maison des hommes avec la fortune. Que ce soit à l’Institut, au Collège de France ou dans les hautes