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LA LIQUIDATION CHEZ STUREL

Rœmerspacher les effets du couchant dans les peupliers d’une prairie lorraine ; elle lui racontait d’une manière légendaire le bon sens de sa grand’mère dans les poches de qui elle avait vécu, petite fille, au pays de Domrémy. Avec une force d’oubli admirable, elle triait dans son passé ses jours sains et normaux pour les faire complices de leur amitié. Elle répandit pour Rœmerspacher ses qualités de loyale française du Nord, avec un geste aussi aisé et franc qu’elle dénouait le beau torrent de ses cheveux, au soir, dans sa chambre solitaire.

Mais le plus merveilleux chez Thérèse ainsi transformée, ce fut de comprendre que Rœmerspacher ne s’attacherait entièrement qu’à une femme honnête, et depuis trois années elle cherchait par quel moyen, sans cesser de lui paraître telle, elle tomberait dans ses bras. Depuis trois années ! et pourtant elle l’aimait comme une femme qui sait ce que c’est que l’amour : ce n’était pas seulement son imagination, mais tout son être qui s’intéressait à une passion où elle eût voulu prodiguer et trouver toutes les félicités d’une jolie femme. Dans son délaissement, elle évoquait, des heures et des heures, les caresses qu’elle aurait eues pour Rœmerspacher, si le bon hasard l’avait substitué dans sa vie à M. de Nelles. Le matin, après des nuits plutôt pénibles, yeux clos dans son lit, elle s’abandonnait indéfiniment