retenir, puis se dit : « C’est de toute façon un homme perdu ! »
Sturel acheva la journée avec sa mère. Jamais elle ne lui inspira une plus tendre et plus respectueuse affection. C’est qu’on souffre trop d’attribuer tout son échec à sa propre faute et que Sturel, abjurant sa confiance habituelle dans la puissance des volontés particulières, soumettait l’individu aux circonstances, le rattachait à de vastes ensembles. Dans son père regretté, dans sa mère assise auprès de lui, il reconnaissait les maîtres de sa destinée, des êtres de qui il n’était que le prolongement. Saturé et humilié de soi-même, Sturel, à se comprendre comme conditionné et nécessité, ressentait cette sorte de paix morne que donne le bromure.
Avec une singulière persistance, un tableau qu’auraient dû remplir d’ombre les années se levait du fond de sa mémoire et l’émouvait. C’était une promenade en voiture après une maladie. Jeune garçon de seize ans et déjà orienté vers les magnificences de la poésie et les grandes rêveries sur le « moi », il faisait sa première sortie de convalescent avec sa mère ; mais, au bout d’une heure, les cahots l’ayant fatigué, ils s’asseyaient dans une prairie et déballaient un goûter d’écolier, du pain, des fruits, une « raie » de chocolat. Petite fête d’enfant modeste : elle