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DÉRACINÉS, DÉSENCADRÉS…

À Versailles, Bouteiller ne fait que de l’hygiène. Une hygiène instinctive, puisque toutes ses facultés de raison portent sur un seul point, sur sa ruine politique. Hors sa passion de revanche, rien n’est plus chez lui que végétatif.

Depuis le matin il médite la réponse d’un banquier à qui il demandait des moyens d’action : « Je ne ferai plus d’affaires, lui a dit ce financier : on les a rendues impossibles dans ce pays. On est attaqué par les journaux, vilipendé par des ignorants, menacé de correctionnelle par des politiciens, mal défendu par ses amis, — laissez-moi vous le dire, mon cher député, — et, en outre, on court un risque d’argent ! J’aime mieux, tout bêtement, prendre des fonds en dépôt ; je sers 1 p. 100 et je réalise aisément 6 p. 100, en faisant de l’escompte. » Le voilà bien, grommelle Bouteiller, le service que des imbéciles et des misérables viennent de nous rendre au nom de la vertu : leur campagne sur Panama, c’est la ruine des grandes initiatives dans ce pays.

Les épaules bombées de fatigue, mais l’âme plus guerrière que jamais, il ne s’avoue pas vaincu. Il s’abuse lui-même avec ses mots électoraux : c’est pour assurer « le progrès » contre « les réactions » qu’il lui faut de l’argent. Dans Versailles, dans cet abîme de méditations, Bouteiller marche comme un loup maigre dans les bois de décembre.