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Page:Barrès - Le culte du moi : un homme libre.djvu/225

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UN HOMME LIBRE

compréhension, de bonté, je les assemble et je les divinise. Je m’accouche de tous les possibles qui se tourmentaient en moi. Je dresse devant moi mon type.

Durant quelques semaines, couché sur mon vaste lit des Fondamenta Bragadin, ou, plus réellement vivant dans l’éternel, je fus ravi à tout ce qu’il y a de bas en moi et autour de moi je fus soustrait aux Barbares. Même je ne les connaissais plus. Ayant été au milieu d’eux l’esprit souffrant, puis à l’écart l’esprit militant, par ma méthode je devenais l’esprit triomphant.

Ici se réfugièrent des rois dans l’abandon, et des princes de l’esprit dans le marasme. Venise est douce à toutes les impériosités abattues. Par ce sentiment spécial qui fait que nous portons plus haut la tête sous un ciel pur et devant des chefs-d’œuvre élancés, elle console nos chagrins et relève notre jugement sur nous-mêmes. J’ai apporté à Venise tous les dieux trouvés un à un dans les couches diverses de ma conscience. Ils étaient épars en moi, tels qu’au soir de mon abattement