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UN HOMME LIBRE

la voiture qui la reconduisait, je m’énervais à les évoquer et à croire que, la veille, je les avais goûtées, chez elle. Mais en vérité j’y étais demeuré fort insensible. Seule nous émeut la beauté que nous ne pouvons toucher. Cette atmosphère de sensualité délicate dont mon regret emplissait sa chambre, je la composais par le procédé de l’abstraction, malhonnête au cas particulier. En réalité, les traits séduisants que j’assemble autour de son baiser ne furent jamais réunis ; cette heure-là au contraire est faite de mille détails oiseux et parfois choquants. D’ailleurs, ces minutes offriraient-elles tout ce plaisir dont ma fièvre contrariée les embellit, elles ne me seraient nullement indispensables ; et si trois soirs de suite, je me couchais vers les onze heures, ayant pris à intervalles égaux trois paquets, trente centigrammes de quinine, mon goût se dissiperait.

Je m’étais proposé pour mes fins idéales de prendre là quelque chagrin, un peu d’amertume qui me restituât le désir de Dieu. Dès les premiers jours de cet essai, j’appliquai ma