Page:Barrès - Le culte du moi : un homme libre.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
215
UN HOMME LIBRE

propre. Cependant, vierge et intimidée, elle ne m’eût inspiré qu’une sorte de pitié, ennemie de toute passion.

2o Se représenter qu’ayant fait le bonheur de beaucoup d indifférents qui tous l’abîmeront un peu, elle deviendra vieille et dédaignée, sans revanche possible.

M’abandonnant à une bonté triste et sensuelle, je souffrais de cette fatalité où son beau corps engrené était chaque jour froissé, et m’appuyant contre cette pauvre amie, je me faisais ainsi une mélancolie facile qui m’énervait délicieusement, mais où elle ne voyait durant nos soirs d’automne que de longs silences insupportables.

Une singulière contradiction de sentiment sans trêve tournoie en moi comme une double prière. Je m’irritai toujours du mépris qu’affectent les âmes vulgaires pour les créatures qui consacrent leur jeune beauté et leur fantaisie à servir la volupté. Leur corps si souple, leur sourire de petit animal et toutes leurs fossettes, quand elles les livrent au passant ému, c’est qu’elles sont agitées du même dieu, dieu d’orgueil et de générosité, qui fait les ana-