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LES FEMMES DE FRANÇOIS STUREL

lingeries enrubannées, luisaient mille bibelots d’Orient, miroirs ronds en argent, amulettes suspendues à des chaînes, voiles très légers aux couleurs tendres.

— Vous regardez, dit-elle, mes ornements, mes armes de sauvagesse. J’arrive de Constantinople et de partout. Mais tranquillisez-vous, je sais m’habiller en poupée française, et je ne vous ferai pas peur.

« Je crois, se dit-il, qu’elle me traite en nigaud qui n’a rien vu !… Mon imagination passe peut-être toutes ses expériences. »

Un peu piqué, il resta pourtant, parce qu’elle était belle et parfumée. Ainsi une mouche ne s’éloigne pas d’un morceau de sucre.

Elle avait pris entre deux doigts le livre et regardait la couverture, qui parut la dégoûter. Poliment, elle généralisa ce qu’elle en pensait :

— Jamais je n’ai rencontré de baraque qui sentît le moisi autant que cette maison !… Moi, je veux y rester six semaines, le temps de m’installer ailleurs ; mais que fait ici un jeune homme ?

Sturel ne l’écoutait guère, un peu engourdi par ses brouillards d’insomnie, dans la première chaleur de la digestion, et aussi par le feu trop ardent de la cheminée. Cette atmosphère le caressait.

Elle lui montra des turquoises de Perse, qu’on nomme immortelles parce qu’elles ne verdissent pas avec le temps. Elle en avait une grande quantité, et les tenait d’un prince persan. Leur origine charma Sturel plus que leur bleu. Ils fumèrent des cigarettes douces, tandis qu’avec férocité elle lui rapportait vingt récits de pensionnaires sur leur hôtesse : une