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LES FEMMES DE FRANÇOIS STUREL

lier en courant, par habitude d’enfance, il croisa la jeune fille, et, tout essoufflé, il lui dit :

— On ne vous verra plus à table, mademoiselle ?

— Voilà, répondit-elle gaiement, qui vous obligera de venir au salon le jeudi !

Il l’attendit ; elle ne parut pas. Les espérances mêlées de folie et d’étourderie qu’il avait conçues se transformèrent en tristesse. « S’est-elle moquée de moi ? Elle me dédaigne ? Elle est, comme l’autre, un bien précieux bijou ! »

L’imagination, l’ignorance et la timidité donnent aux jeunes gens une force incroyable pour se proposer des succès et des malheurs également impossibles. François Sturel, avant de s’endormir auprès de l’Arménienne, considéra que tout est préférable à une situation fausse et qu’il devait s’expliquer avec Thérèse Alison. Il lui écrivit dès le matin :

« Mademoiselle,

« J’étais au salon hier, jeudi, pourquoi vous cacherais-je que j’en suis sorti profondément triste ? J’étais bien obligé de reconnaître votre droit de faire passer toute distraction avant la promesse que vous avez eu la bonté de donner à un jeune homme qui ressent trop violemment la beauté, la grâce et ses propres chagrins pour exprimer ce qu’il en éprouve.

« François Sturel. »

« Allons, me voilà dans la pire erreur ! se disait-il en fermant cette lettre, — qu’il fît porter, sitôt madame Alison dehors, — je me présente comme un