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LES DÉRACINÉS

tions des choses pourraient seuls méconnaître la malchance de cette jeunesse française, de cette élite qui, systématiquement, est alanguie, privée des conditions où elle pourrait s’épanouir en citoyens. Quels efforts cependant pour tirer parti de ce qui leur est propre ! Avec quelle énergie ces jeunes Lorrains utilisent pour se nourrir, ou pour s’empoisonner, les éléments que le milieu leur offre !

Voyez ce sauvage François Sturel, comme il a profité de sa pension pour s’élever à une certaine délicatesse de vie ! Il profite moins de la Faculté : il prépare passablement sa licence en droit, mais ne suit aucun cours. « L’enseignement verbal, dit-il, n’est supérieur au livre qu’au cas où le professeur prend une autorité personnelle sur son auditoire. Sinon, c’est perdre son temps de rédiger ce qui se trouve excellemment imprimé. Plus qu’aux amphithéâtres bruyants, je trouve de l’âme aux bibliothèques que dessert un paléographe silencieux. »

Saint-Phlin, sans se fixer de délai, c’est-à-dire peu sérieusement, prépare sa licence ès lettres. Il avait été mis en rapport, par des relations de famille, avec les organisateurs des cercles ouvriers ; il connaissait l’entourage de MM. de Mun et de la Tour du Pin, il subissait aussi l’influence des disciples de M. Le Play. Il commençait à se dire : « Ma naissance et ma fortune me donnent une force qu’acquerront bien difficilement un Renaudin, un Mouchefrin. Les classes élevées ont un rôle social. Elles doivent remplir une fonction de patronat, se consacrer au bien général, plus spécialement aux intérêts populaires. » Dans cet esprit traditionaliste, il devait répugner au droit tel qu’on l’enseigne place du Panthéon, par