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UN PROLÉTARIAT DE BACHELIERS ET DE FILLES

queue, il disait : « Il faut bien qu’il y ait un dernier. »

Sturel et Saint-Phlin, avec des différences de caste, sont jusqu’à cette heure des Mouchefrin, en ce sens qu’ils flottent au fil de l’eau, sans réagir. Il faut l’avouer, Racadot leur est supérieur ; réaliste, il ressemble plutôt à Rœmerspacher. Il a de la volonté et, dans les détails, une méthode assez puissante. Ah ! s’il avait, comme Rœmerspacher, le temps d’être patient !…

C’est seulement dans les romans historiques qu’un personnage se fixe un rôle auquel il se conforme petit à petit. On ne demande pas à Sturel, Saint-Phlin, Mouchefrin, Racadot de dessiner dans leur esprit un plan de leur avenir et de s’y promener par avance. Mais dans aucun moment ils ne prennent conseil, pour s’y soumettre, des conditions imposées par les circonstances. Ils se composent de vagues chimères et ne veulent rien entendre qui les détourne de cette chasse impossible.

Heureusement Sturel, avec ses tantes, sa vieille maison de Neufchâteau, Saint-Phlin, fils de la terre de Saint-Phlin, s’appuient sur des familles raisonnables, qui ont constitué un capital : s’ils ne s’amendent pas, ils priveront la collectivité de leur concours ; du moins, ne seront-ils pas atteints dans leur individu. Qu’ils laissent vaguer leur imagination ; soit ! l’usure de la vie les débarrassera de cette énergie. Comme le taureau qui se fatigue le garrot à crever de vieux chevaux pour qu’enfin, sur les genoux, il tombe devant le matador, ils s’épuiseront, eux aussi, sur trente-six illusions ; et peut-être, un peu vaincus, deviendront-ils sur le tard des éléments sociaux très