Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
148
LES DÉRACINÉS

Saint-Phlin, en qui le vieux duché de Bar et M. Le Play unissent leurs voix, pensait que l’on aurait beaucoup à emprunter aux coutumes du passé. Rœmerspacher, en plus de la médecine, étudiait l’histoire, non l’histoire éloquente, mais l’érudite, à l’École des Hautes Études ; sa belle vigueur physique et morale le poussait à avoir confiance dans l’esprit de nouveauté. Leurs conclusions ne s’accordaient pas. Mais, comme les tireurs qui ont l’habitude de faire des armes ensemble, ils se rendaient hommage l’un à l’autre. Dans leurs discussions, ils goûtaient un grand plaisir : la franc-maçonnerie d’un langage commun ; — d’ailleurs, elle les amenait fréquemment à soupçonner les autres d’inintelligence, quand eux-mêmes n’avaient su ni comprendre, ni se faire comprendre. Enfin, ils étaient gourmands. C’est de chez Foyot qu’à certains jours ils se plaisaient à examiner les transformations insensibles des mœurs et la date où elles seront légalisées par un nouveau statut social. De là, fort échauffés, ils se rendaient au Café Voltaire.

Au terme de leurs colloques, ils s’apercevaient qu’ils étaient nés pour conclure à des vérités différentes, mais que, sur la méthode, ils s’accordaient. Depuis le lycée, ils n’avaient pas perdu leur temps ; le caractère scrupuleux de Saint-Phlin, qui jadis faisait rire, forçait maintenant l’estime ; et tous deux, ils avaient compris une chose très importante : nous pouvons admirer ou blâmer l’ordre social, — c’est un agréable exercice de conversation, et pourquoi s’en priver ! — mais, si nous prétendons le rectifier, il faut d’abord que nous le prenions très au sérieux par ce fait seul qu’il existe. Attachons-nous à recon-