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LES DÉRACINÉS

sa manière dès le début, on voit comment sa vie penchera. Ces premières années sont les assises branlantes d’une fâcheuse destinée. Par la logique de ses idées générales, ce jeune politicien était voué à l’isolement et aux besoins d’argent.

À l’isolement : — il venait de rompre avec ses anciens amis devenus le personnel gouvernemental, par une confiance excessive en soi qui résulte d’une certaine énergie d’homme de sport, et surtout d’une vanité fréquente chez les fils de famille.

Aux besoins d’argent : — il croyait avoir constaté en Amérique qu’une seule chose vaut qu’on la respecte, — la force, — et que la force unique, c’est l’argent. S’assurer des concours en payant et multipliant les journaux, tel fut le système où il s’acharna et dissipa ses ressources réelles, puis imaginaires.

Portalis, après avoir éprouvé que l’opinion n’admettait pas qu’on fût républicain contre Gambetta, essaya de traiter : « Vous êtes écrasé, lui disait-il ; on parle de vous mettre en cour d’assises pour vos comptes. Eh bien ! moi je vous prends. Voulez-vous lier nos parties ? Je serai effacé et n’apparaîtrai qu’après votre installation ! » C’est ainsi que parut dans la Constitution un article intitulé le Prétendant de la démocratie et qui venait de Gambetta. Ces deux génies de l’intrigue, — dont l’un toutefois n’eut jamais d’amis — pouvaient s’entendre, car sceptiques l’un et l’autre, sauf devant les forces, ils ne se souciaient que des résultats. Mais Gambetta savait déjà que Portalis n’était pas maniable. Spuller, Ranc, Phéphaut réunirent assez d’argent pour fonder la République française. « Vous avez quarante mille francs, — dit au grand orateur le pu-