Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
172
LES DÉRACINÉS

beaucoup de députés, ministrables ou anciens ministres, y écrivaient.

Bien doué pour comprendre les affaires, sinon pour les mener à fin, il se faisait expliquer une combinaison par l’intéressé, en recevait un dossier, établissait des calculs, créait des arguments, puis, de sa personne ou le plus souvent par un homme sûr, parlait aux ministres, aux présidents de commission, aux députés. Il se chargeait encore d’exposer ou de faire exposer aux compagnies, aux diverses administrations publiques ou privées, les propositions ou doléances de ses clients. C’est un avocat d’affaires, mais qui plaide l’escopette au poing. Fût-ce pour un bec de gaz nouveau à installer dans une administration, il savait obtenir qu’il y eût un arrêté pris. Avait-il rencontré des propriétaires préoccupés de l’endiguement d’une rivière, des financiers désireux de constituer quelque banque coloniale, il usait en leur faveur de son influence sur les membres du cabinet et sur des particuliers auxquels l’humeur de son journal ne pouvait être indifférente.

La mise en œuvre de ce système exige du tact. Pour comprendre les rapports du fils de famille politicien qu’est Portalis et de cet excellent cerveau-peuple qu’est Girard, il faut noter que Portalis lui avait dit tout d’abord : « Vous êtes un fou ». Mais quand il vit les résultats, il crut que tout était possible, et c’était une querelle permanente entre eux. Girard disait : « J’ai ma conscience à moi. »

Tant que le journaliste qui pratique ce système demeure gouvernemental, les magistrats n’y voient que les démarches d’un homme influent. Les journaux de Portalis n’intervenaient jamais. Girard di-