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UN HASARD QUE TOUT NÉCESSITAIT

ciels, les nihilistes révolutionnaires sont de naïfs idéalistes. Renaudin, avec une sincérité qui toucha Saint-Phlin, Sturel et Rœmerspacher, ajouta :

— Si je n’étais pas un misérable journaliste, voilà pour quels livres je voudrais préparer des documents…

Il conseilla quelques précautions à Rœmerspacher :

La Vraie République est un journal opportuno-radical, c’est-à-dire d’esprit classique, et fidèle au système césarien que Taine bat en brèche…

— Ne crains rien, dit Rœmerspacher, je donnerai à mes idées une expression philosophique et non politique. Vos « inspirateurs politiques » ne les reconnaîtront pas. Et comment se froisseraient-ils ? Les hommes d’action ne prennent pas au sérieux les théories qui émanent d’une personnalité sans mandat, telle que M. Taine.

Tous étaient joyeux. Ils avaient bon espoir pour Rœmerspacher. L’un d’eux, et leur préféré, allait déployer des forces que chacun sentait accumulées en soi ; pour eux tous s’ouvrait la barrière.

— Que coûte un journal ? dit alors Racadot d’une voix dont l’expression étonna.

— À trois sous et avec une rédaction utile, daigna lui répondre Renaudin, c’est une opération très possible. Ce qui tue les journaux, c’est de se vendre un sou et d’attribuer quarante mille francs par mois à des rédacteurs de parade, influences de coterie, mais sans action utile sur le public,

À onze heures, Racadot et Mouchefrin se levèrent, ne voulant pas entendre la fin d’une conversation qui les faisait trop souffrir.