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VISITE DE TAINE À RŒMERSPACHER

qu’il prononça le serment par lequel, avec trois amis, il se partageait le monde…

— « À nous deux ! » disait Rastignac, du haut du Père-Lachaise.

— Maurice, comprends-moi ! Je ne suis pas aigri ni intéressé ; j’ai le cœur joyeux et des désirs purs. Ce n’est pas un héros du bagne, mais un saint, M. Taine, qui nous a menés à cet entretien : il t’a loué, me disais-tu, que nous fussions une société d’amis. Sache que moi, François Sturel, je trouve Rastignac, avec son serment de dominer Paris, honteusement médiocre. Et en Loyola, ce n’est pas le conquérant du monde qui m’attire, mais j’aime qu’il se soit donné une raison héroïque de vivre… Il faut le connaître directement, et non pas à travers les petits journaux anticléricaux, ou les petites images dévotes. C’était un Espagnol enthousiaste et qui avait l’esprit d’aventure. Qu’il se soit mis au service de l’Église et plus particulièrement du Pape, c’est l’emploi de ses facultés, mais cela ne le caractérise pas. Il a fondé une société ; elle est admirable, non point tant par le lien rigoureux qu’il a constitué entre ses membres, que par la façon dont il crée ces membres. Et même il ne les crée pas ; il leur donne une méthode pour que chacun se crée soi-même. Voilà sa force incomparable !… Méthode prodigieuse, par où chacun de nous, dans la solitude et sans intervention extérieure, peut porter au maximum son énergie spirituelle. La méthode de Loyola, c’est l’art d’éveiller en soi des émotions, de perfectionner ses impulsions, de cultiver ses aptitudes, de nous organiser enfin une vie cérébrale telle que nous incorporions l’idéal que nous nous sommes proposé.