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LES DÉRACINÉS

des pantalons trop courts, il avait, ce marcheur fatigué, une saisissante allure, toute faite des mêmes qualités d’aplomb, de netteté et d’impertinence polie qui créaient son autorité oratoire. Bien qu’il n’eût guère de romanesque, il ne montra aucun étonnement de cette convocation. C’est qu’il n’y cherchait pas plus loin qu’une pensée de groupement : il l’eût mieux compris sous forme de conférence hebdomadaire, mais, tel quel, cela satisfaisait son instinct de légiste ambitieux.

Les cinq jeunes gens, à travers les longues cours, se dirigèrent vers la chapelle majestueuse qui possède le cadavre du héros.

À l’ordinaire, le visiteur, soudain prenant conscience de son anonymat, s’intimide de l’écho que son pas sur ces dalles sonores éveille dans les vastes espaces du dôme funéraire. Mais ces jeunes pèlerins-ci ne s’imaginent pas troubler le repos de celui dont ils viennent solliciter la leçon exaltante : ils courent saluer l’Empereur qui s’achemine le long des siècles. Et tout ce bruit de leurs talons résonnant, c’est pour leurs nerfs frémissants un prolongement de celle formidable acclamation qui, jamais interrompue, montait des peuples massés sur le passage du héros et l’empêchait de dormir, tandis qu’il parcourait l’Europe dans sa berline de voyage.

Le tombeau de l’Empereur, pour des Français de vingt ans, ce n’est point le lien de la paix, le philosophique fossé où un pauvre corps qui s’est tant agité se défait ; c’est le carrefour de toutes les énergies qu’on nomme audace, volonté, appétit. Depuis cent ans, l’imagination partout dispersée se concentre sur ce point. Comblez par la pensée cette crypte où du