Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
243
LA FRANGE DISSOCIÉE ET DÉCÉRÉBRÉE

à conclure que la France est décérébrée, car le grave problème et, pour tout dire, le seul, est de refaire la substance nationale entamée, c’est-à-dire de restaurer les blocs du pays ou, si vous répugnez à la méthode rétrospective, d’organiser cette anarchie.

De leur anarchie, ces bacheliers mêmes, qui errent sur le pavé de Paris comme des Tonkinois dans leurs marais, sans lien social, sans règle de vie, sans but, se rendent compte. Quand ils essaient de se grouper selon le mode primitif du clan, quand ils sont hantés par l’idée césarienne, c’est un instinct de malades. Ils voudraient prendre appui les uns sur les autres ; ils se tournent aussi vers le dictateur, et vers celui dont l’histoire a dit : « Le vrai mérite, dès qu’il lui apparaissait, était sûr d’une immense récompense. » Leur énergie et leur malchance les rendent sympathiques. S’ils travaillaient d’accord avec des forces sociales honnêtes et utiles, ils pourraient faire des choses honnêtes et utiles. Mais des hommes qui n’ont pas de devoirs d’état, qui sont enfiévrés par l’esprit d’imitation en face d’un héros, et qui prétendent intervenir avec leurs volontés individuelles dans les actions de la collectivité, c’est pour celle-ci fort terrible !… Car les héros, s’ils ne tombent par exactement à l’heure et dans le milieu convenables, voilà des fléaux.