Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
249
ON SORT DU TOMBEAU COMME ON PEUT

distingueriez le courant ; vous verriez venir les événements. … Oui, un journal !

— Mais, l’administration ? dit Rœmerspacher.

— L’argent ? précisa Renaudin en ricanant.

— Mouchefrin et moi, nous nous chargeons de tout… Je m’en charge, — reprit-il en accentuant le mot. — Nous serons vos marchepieds, messieurs : plus tard, ne nous oubliez pas.

Ils se regardèrent. Leur sourire, incrédule d’abord, s’effaçait, car ils désiraient croire. Ils se rappelèrent les perpétuelles allusions de Racadot à cette « grosse fortune » que sa mère lui avait léguée et que son père détenait. Déjà l’imagination de Sturel saisissait cette solution. Des idées fortes et abondantes de toutes parts se présentaient à lui. Ce n’étaient pas des idées raisonnables, mais il utilisait son droit de rêver l’avenir.

« Qu’ils sont jeunes ! » pensera-t-on. Des hommes « dont l’âme n’est point sevrée », disait avec orgueil Saint-Just qui mourut lui-même à vingt-cinq ans. Sturel, Saint-Phlin, Rœmerspacher et Suret-Lefort ont encore aux lèvres une goutte du philtre des philosophes et des poètes.

En réalité, ils viennent d’échouer. Leur beau frisson d’enthousiasme se transforme en une médiocre résolution.

L’entrée dans l’action s’est faite pour Sturel en deux moments distincts. D’abord, ses rêveries du lycée, auprès de « ses femmes » et sur le mot de Taine : « Association ». Le second temps, c’est quand il doit sur la nature de cette association s’accorder avec ses camarades. La moyenne de ce petit cénacle relève un Mouchefrin, abaisse un Rœ-