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BOUTEILLER PRÉSENTÉ AUX PARLEMENTAIRES

manquent des documents pour étudier cette immense comptabilité, ces journalistes, ces députés, tous hommes d’action ou hommes d’esprit, devant les trésors maniés par les Lesseps, perdent le sens critique. Ils ressentent ces éblouissements que nous avons constatés chez les jeunes Lorrains à l’énumération des hauts faits de Napoléon. Ils ne songent qu’à participer aux conquêtes de cette immense armée d’actionnaires et d’obligataires. Quant à la responsabilité d’entretenir de telles hordes et de leur assurer le succès, ils ne la soupèsent même pas ; ils l’abandonnent toute aux Lesseps. Ils marchent sur les flancs de ces bataillons de souscripteurs, dont ils savent que le nombre pourra être indéfiniment accru ; ils se préoccupent avec fièvre de prendre une part du butin final et, en attendant, trouvent fort naturel de se nourrir avec le biscuit de troupe. Fort joliment, le directeur du grand journal parlementaire officiel résume à Jacques de Reinach les sentiments de ses confrères :

— Bonaparte commençait toujours sa journée par la lecture des journaux qu’il avait lui-même rédigés la veille. Vous, avec votre réunion d’actionnaires en juillet prochain. Il dépend de M. de Lesseps d’ouvrir la séance par une lecture des journaux de Paris qui tous affirmeraient aux capitalistes la sécurité et les avantages de placer leur argent en titres de Panama…

Vous avez entendu ces gens-là. Ils ne paraissent pas inintelligents quand ils parlent sub rosâ. Ce qu’on distinguerait mieux en d’autres circonstances, — parce que l’occasion qui fait les coquins fait aussi les héros, — ils sont énergiques et féconds en expé-