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« LA VRAIE RÉPUBLIQUE »

— Voici : j’ai beaucoup de travail ; néanmoins j’ai accepté de m’associer à l’effort de mes amis qui n’ont pas de tâche à leur goût et qui ne veulent point d’une vie languissante. Un journal nous tente, comme un moyen d’exprimer le retentissement de notre époque en nous… c’est-à-dire notre idéal propre. Si nous parvenons à le dégager et à le faire entendre, très probablement il sera représentatif.

— Monsieur Rœmerspacher, monsieur Sturel, je vais vous étonner, dit Bouteiller : j’ai deux amis, l’un est un petit tailleur de Nancy, l’autre un modeste jardinier, aussi lorrain. Quand mon travail, mon devoir, — il accentua encore le mot, — me laissent du loisir, mon délassement, mon bonheur, c’est d’aller causer avec eux. Pourquoi je les aime ? Pour l’exemple qu’ils me donnent d’un respect absolu à la discipline. Ils ont fait leur devoir en 1870 contre les Allemands, ils ont fait leur devoir depuis en combattant pour le programme que le chef du parti républicain, que Gambetta a formulé. Voilà des hommes utiles et que j’aime et respecte.

— Et nous vous paraissons blâmables ?

— Secrètement vous répugnez à la discipline !… Vous pensez qu’une nouvelle génération apporte un idéal ! Voilà un mot qui me dénonce un abîme entre nous… La discipline, c’est l’abnégation, plus nécessaire dans un parti que l’intelligence ; c’est la première des vertus. Qu’est-ce que des idéals viagers, individuels ? Certes, je vois avec plaisir apparaître des besoins nouveaux dans les masses : c’est un témoignage de leur élévation ; et je vous le dirai en passant, dans l’état de la démocratie française, si le nombre des citoyens sachant signer leur contrat de