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LE LYCÉE DE NANCY

l’État. C’est le sergent instructeur qui communique à des recrues la théorie réglée en haut lieu. Exactement il leur distribue de vieux cahiers, rédigés depuis huit ans et qu’il a dictés à Nice, à Brest, comme aujourd’hui à Nancy. Certes il n’est pas homme à négliger un service public dont il est responsable ! Son cours est remarquable, dans le meilleur esprit de la jeune École Normale, et, dès ses premières fréquentations politiques, il l’a rehaussé d’une certaine morale sociale kantienne dont la construction porte sa marque propre. Toutefois c’est un travail arrêté définitivement, où il ne prend plus que l’intérêt de la diction et, parfois, de l’éloquence.

Pendant que ces vieux cahiers, présentés avec chaleur, tombent en nouveautés enivrantes sur des êtres avides de recevoir, il assouplit sa voix, essaie des débuts à voix basse qui forcent un public à l’attention, cherche et trouve ces intonations émouvantes, ces accents du devoir et ces appels à l’énergie virile qui s’accordent le mieux avec son génie.

M. Bouteiller forme sa domination en déformant des âmes lorraines, et dans le même temps lui prépare un emploi plus vaste dont elle est avide et capable. Par delà Sturel, Racadot, Mouchefrin, Gallant, Suret-Lefort, Rœmerspacher et Renaudin, il observe Gambetta. Au verso de leurs pauvres copies d’écoliers il crayonna plus d’une fois des indications que le fameux orateur utilisa dans les débats sur l’enseignement public. Gambetta, d’une curiosité politique insatiable, eût voulu connaître chacun des Français. M. Bouteiller lui donna des rapports sur l’esprit des fonctionnaires en Meurthe-et-Moselle.