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LES DÉRACINÉS

il saisit d’instinct, pour l’interrompre, le dernier mot de Rœmerspacher :

— Vous rappelez-vous, dit-il, certain rapport de Robespierre sur les relations des idées religieuses et morales avec les principes républicains ?

Depuis trois ans il formait son grand talent par l’étude des orateurs illustres. Il se leva, et de mémoire, commença de déclamer ce magnifique témoignage qui affirme aux siècles, toujours en suspens sur ce héros inhumain, son élévation et sa puissance :

« Toute doctrine qui console et qui élève les âmes doit être accueillie ; rejetez toutes celles qui tendent à les dégrader et à les corrompre. Ranimez, exaltez tous les sentiments généreux et toutes les grandes idées morales qu’on a voulu éteindre. Qui donc t’a donné la mission d’annoncer au peuple que la divinité n’existe pas, ô toi, qui te passionnes pour cette aride doctrine, et qui ne te passionnas jamais pour la patrie ? Quel avantage trouves-tu à persuader à l’homme qu’une force aveugle préside à ses destinées et frappe au hasard le crime et la vertu ? Que son âme n’est qu’un souffle léger qui s’éteint aux portes du tombeau ?

« L’idée de son néant lui inspirera-t-elle des sentiments plus purs et plus élevés que celle de son immortalité ? Lui inspirera-t-elle plus de respect pour ses semblables et pour lui-même, plus de dévouement pour la patrie, plus d’audace à braver la tyrannie, plus de mépris pour la mort ?… »

Suret-Lefort, appuyé au mur, faisait voir une physionomie passionnée, expressive des plus nobles émotions, car ces rythmes en oppressant son âme