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LES DÉRACINÉS

Sturel a vu juste en allant droit au public. C’est éviter bien des impertinences et s’épargner les malentendus avec des personnages compétents, qui sont fixés et incapables de modifier leur point de vue. Mais pour trouver des esprits disponibles, pour les trier, pour les créer, il faut une dispersion considérable, c’est-à-dire un tirage bien supérieur aux vingt mille exemplaires quotidiens de ce journal-ci, et un capital qui permette de durer.

Cette première semaine pourtant, Racadot eut deux satisfactions : un jeune garçon maussade, malpropre, avec des yeux enthousiastes, se présenta aux bureaux et sollicita d’aider ces messieurs parce qu’il admirait le journal. C’était le petit Fanfournot, le fils du concierge chassé du lycée, jadis, par les soins de Bouteiller. Il était orphelin, sans ressources. Comme il ne demandait pas d’appointements, on ne lui demanda pas d’explications, et il devint le servant de Mouchefrin. En outre, des députés exprimèrent à Renaudin le désir de collaborer à la Vraie République.

— Mais comment les rémunérer ?

— Le député, répondit le reporter, cherche continuellement l’hospitalité d’un journal, au point que, s’il ne la trouve pas, il vole pour l’acheter. À l’origine des grands scandales parlementaires, il y a toujours le besoin qu’eut un représentant du peuple de publier une chronique politique, et sa chronique est toujours illisible.

— Mais alors ?

— Cela te fera des relations.

Racadot se demanda si Renaudin ne se f… pas de lui et regretta Bouteiller.