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UNE ANNÉE DE LUTTES

Le rôle de Renaudin demeura confus dans l’esprit de Racadot. Mais il ne faisait pas de psychologie ; il avait touché une première somme, espérait toucher encore. Tout se termine par une transaction entre l’optimisme de nos rêves et les duretés de la réalité, et par une nouvelle construction d’espérances.

Sturel, malheureusement, contrarie le génie architectural de ses deux amis. Il surveille son journal de la première à la dernière ligne. Parce qu’elles lui paraissaient dénuées d’intérêt, il a refusé des notes de Mouchefrin où l’on sentait l’éducation de la rue Montmartre. Ces délicatesses irritent Racadot, qui juge que le maître, c’est celui qui paie. Fin septembre, on a déjà mangé une quinzaine de mille francs. Cependant il ne brusque rien. Se méfiant un peu de Renaudin et mal secondé par le dévouement inférieur de Mouchefrin, de la Léontine, et de Fanfournot, il voudrait garder ses vieux amis, tout en faisant un journal « plus moderne, plus raisonnable ». Qui sait, d’ailleurs ? un jour ils seront riches, pourront aider la Vraie République !

— Mon cher rédacteur en chef, dit-il à Sturel, le journal est admirablement rédigé, mais il perd beaucoup d’argent. C’est que nous sommes un peu naïfs. On m’a indiqué un collaborateur très précieux, parce qu’il s’occuperait en même temps de publicité. Un journal vit par les affaires, n’est-ce pas ?

Qu’objecterait Sturel ?… On prit rendez-vous pour dîner aux Champs-Elysées.

De quel air courtois et important le nouveau collaborateur se déclara heureux de donner la main au rédacteur en chef de la Vraie République ! Si Sturel