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UNE ANNÉE DE LUTTES

— Enfin, — dit Sturel, prêt à s’irriter, — il y a des journaux qui gagnent de l’argent sans rien faire de suspect.

— Vraiment ? et lesquels, cher monsieur ?

Sturel cita des noms. À chacun, l’homme en souriant se tournait vers Renaudin. Racadot, avec le zèle d’un néophyte, ricanait. Pendant une demi-heure, ils passèrent en revue les plus estimés des publicistes contemporains, dont Sturel aimait trois ou quatre pour leur générosité. Ces accusations ne le convainquirent pas ; mais il souffrait qu’on osât, devant lui, supposer de telles ignominies. Pour couper court :

— Auriez-vous raison, ce que je ne crois pas, — car la qualité de leur esprit me semble un témoignage plus sûr que des racontars infâmes, — ceci demeure que, moi, je ne me prêterai pas à ces tripotages.

— Racontars infâmes ! tripotages ! — murmurait l’homme, que Renaudin calma, — eh ! l’on ne force personne !

Offensé dans sa dignité, il alla jusqu’à vouloir payer sa part de l’addition.

Racadot lui disait :

— Allons, mon cher ami, un verre de kummel ?

— Vous n’avez pas compris Sturel, affirmait Renaudin.

L’homme fut magnanime et, laissant de côté toute susceptibilité mesquine, il précisa loyalement, en posant sur la table sa main, les doigts écartés :

— Je comprends toutes les façons de voir ; au cas où nous entrerions en relations utiles, M. Sturel garderait toujours la liberté de refuser une affaire qui lui déplairait. Je lui ferai des offres, il jugera et je m’in-