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UNE ANNÉE DE LUTTES

l’appeler par son nom, il maudit l’individualisme.

Bouteiller l’accueillit avec humeur :

— M. Sturel a fait savoir au ministre que votre journal refusait toute subvention. Qu’est-ce que cela signifie ? Était-il nécessaire de consulter M. Sturel ?

Le pauvre garçon protesta qu’il n’avait parlé à personne.

— Nous ne sommes pas ici pour éclaircir des mystères, continua le professeur ; quoi qu’il en soit, le ministre refuse de s’intéresser davantage à l’affaire.

Racadot effondré voulut insister.

— C’est un principe absolu, lui dit l’autre, de ne pas demander à ses amis plus qu’ils ne peuvent faire. Laissons le quai d’Orsay. Contentez-vous de la subvention de l’Intérieur.

— Elle ne me suffira pas.

Mot malheureux, d’un accent trop sincère ! Bouteiller en comprit la vérité et, dès lors, envisagea Racadot comme un raseur incapable.

— Durez jusqu’aux élections générales. Vers ce moment, je pourrai peut-être quelque chose pour vous.

Là-dessus, il se leva. Sur le trottoir, le directeur de la Vraie République pensa pleurer.

Il est très difficile de calculer les conséquences d’un acte. Si Sturel se figurait avoir agi pour le mieux, c’est qu’il ignorait la vigueur des soubresauts d’un Racadot qui agonise. Celui-ci n’eut pas le courage de raconter par le menu à Mouchefrin la catastrophe. Il résuma ainsi :

— Tous nous lâchent. Il ne me reste que trois crétins comme toi, la Léontine et Fanfournot.