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QUINZE JOURS DE CRISE

puisse durer, et, avec l’expérience acquise, rien n’est perdu.

Dans sa déplorable situation, deux graves difficultés principales : le 2 tombe l’échéance mensuelle des 750 francs à verser pour la location du journal ; il a déjà réglé mars par un billet qui va venir à échéance le 25 mai : il craint le protêt d’abord, la faillite ensuite. Chaque jour, il doit payer à l’avance l’équipe des compositeurs… Et plus de capital ! rien que de rares affaires à grappiller çà et là.

Hardiment, il fait un sacrifice : on se passera jusqu’à nouvel ordre d’un journal neuf ; un imprimeur, auquel il abandonne le produit des annonces, met le titre de la Vraie République et la date du jour en tête d’un texte cliché sur un journal de la veille au soir. Quelle triste matinée, ce 15 mai 1885, où paraît le premier numéro de cette nouvelle manière ! Racadot s’attriste peu de voir modifier l’aspect typographique de son journal : il n’a pas l’amour-propre professionnel ; et que peuvent lui faire des propos de brasseries ? L’échec n’y humilie pas : à Paris, on comprend la lutte. Mais c’est un pas sur la route de Custines, et retourner là-bas, après l’héritage de sa mère détruit, serait intolérable. Ce n’est pas un mensonge pour flatter la manie de son père, ce qu’il lui écrivait :

« Comprends bien ma position. Tes dettes sont les miennes, nos affaires sont communes, et j’aurai à cœur de rembourser ce que tu auras emprunté pour moi, et en même temps de pouvoir racheter le bien que tu as vendu. Je ne passerai pas mon existence entière à Paris, et si, dans un nombre d’années, je