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QUINZE JOURS DE CRISE

sitions, accorde généreusement un délai de dix jours.

Laissé à la solitude de son bureau et à la vue mélancolique d’une cour intérieure, Racadot, les deux mains enfoncées dans son pantalon, ni coiffé, ni lavé, la tête baissée sur sa poitrine, plutôt athlète essoufflé que candidat à la faillite, est loin de ce décor. Comme un bœuf, dans le wagon qui le mène vers l’abattoir, rêve des vastes prairies et de l’auge bien fraîche, parfois il songe aux horizons de Custines. Courtes défaillances idylliques. Son pas, tantôt lent, tantôt précipité, trahit son agitation. Il ressasse une seule et même idée, pour s’interdire, semble-t-il, de la mettre en discussion : « Je ne puis pas abandonner la Vraie République… Tant qu’elle demeure dans mes mains, je tiens mes quarante mille francs, mon capital et mon instrument de travail. Il faut donc que, pour le 25, je puisse verser deux termes de sept cent cinquante francs, — et que je sois en mesure de payer l’impression, au moins, d’une page neuve. »

Cet enragé optimiste se convainc que, s’il sort de cette crise, il est sûr de l’avenir : le renouvellement de la Chambre se fera vers septembre-octobre ; dès juillet et même juin deviendront possibles, pour les journaux, ces gros bénéfices que comporte une période électorale. Il s’agit d’adopter une couleur politique et d’opposer à des adversaires riches des candidats qu’au bon moment et moyennant finance on abandonne, voire même on combat. C’est par des trahisons de cette sorte que des leaders politiques alimentent leur caisse de propagande et leur bourse privée. Racadot établit même des plans plus précis.