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LA MYSTERIEUSE SOIREE DE BILLANCOURT

cadavre, ce sang et ces beautés découvertes, dans ce tragique abandon, c’est l’éternelle Hélène « tant admirée, tant décriée » qui une fois encore est venue du rivage homérique, avec le trésor augmenté sans cesse de sa fabuleuse beauté, attiser dans notre sein une ardeur que rien ne satisfera. Hélène ! mais du moins, cette fois, pour que soit complète son atmosphère de volupté, il ne manque pas au tableau l’appareil du carnage.

Sturel, plus tard, comprendra que ces circonstances tragiques étaient de nécessité et les instruments atroces de la parfaite biographie d’Astiné Aravian. Il n’admettra pas qu’une hypothèse eût pu surgir où ce sang eût été épargné à son amie. En laissant la biographie de cette femme se constituer dans son imagination, comme on laisse une vérité se concréter en soi de façon à n’en être que le spectateur, Sturel reconnaît bien qu’une telle vie, à moins d’être incomplète et même contradictoire, ne supportait que ce dénouement où il y a du vice, de l’horreur et des accents désespérés.

Le ciel de minuit et ces sombres feuillages, qui tout à l’heure d’un si grand air favorisaient les énergies amoureuses, encadrent avec une égale magnificence la terreur de ces assassins. Le souffle d’un assassin, dans la nuit, ce doit être le halètement d’un coureur demi-asphyxié de qui l’on entend les prises d’air et les expirations, cent mètres avant que l’on distingue son visage douloureux et forcené, — un visage composé par d’affreux battements de cœur. Mais, courant aux côtés de l’homme de sport, il y a le groupe de ses amis, de ses entraîneurs qui le félicitent, le soutiennent de leurs fraternelles