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LES PERPLEXITÉS DE FRANÇOIS STUREL

la façon dont il veut nous étonner, nous intéresser, nous plaire. Par là, s’il ne nous renseigne pas directement sur lui, il nous éclaire beaucoup sur le personnage qu’il veut paraître et aussi sur son cerveau.

— Un juge d’instruction à qui son caractère et sa compétence ont acquis l’estime générale, M. Guillot, remet au prévenu une plume, de l’encre, du papier : « Ecrivez-moi, racontez-moi votre vie. » Le misérable, dans les loisirs du cachot, aime à tracer sa biographie, à donner ses raisons, à se mettre en valeur. Peut-être se souvient-il des romans qui lui touchèrent l’imagination, mais ses mensonges, autant que les documents exacts qu’on a par ailleurs sur son crime, aident à cerner la vérité, permettent d’approcher son âme. Nos vaines prétentions sont une des parties les plus réelles de notre être.

Racadot, des articles publiés à la Vraie République par Rœmerspacher et Sturel, avait extrait et mis bout à bout un certain nombre de fragments. Il les lisait et il parlait assis. Avec sa puissance naturelle, il eût été mieux à l’aise debout, la poitrine développée, osant des gestes et déchargeant tout le fiel amassé dans son cœur épouvanté. Son sujet un peu abstrait, c’était la Nouvelle vérité morale, mais il le fît « actuel », en exposant sur Victor Hugo des idées que lui avait suggérées le matin même un journal de M. Lissagaray (genre Pyat et Vallès).

— Je voudrais, commença-t-il, vous parler de Victor Hugo. Les nécrologues sont inspirés par l’entourage du mort, et c’était une cour d’une incroyable médiocrité intellectuelle… (Une protestation légère courut sur les bancs). Je ne traiterai pas de son vocabulaire, de ses rythmes, mais de son œuvre en tant