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LES PERPLEXITÉS DE FRANÇOIS STUREL

— Ton « parasitisme », loi de la vie, ta nature qui nous invite à « césariser », tout cela peut être vrai en théorie, pour un monstre imaginaire, pour un homme hypothétique qui vivrait isolé, hors de tout groupement ; mais l’homme est un animal politique, une bête sociale, et ce qu’il a de mieux à faire pour sa sauvegarde, c’est de respecter la société dont il tire tout et qui, d’ailleurs, saurait bien l’y contraindre.

Il parla ainsi en conscience et parce que son camarade l’avait mis en cause ; mais gêné de blâmer un pauvre diable qui se donnait tant de mal pour gagner trente francs, il lui tapa sur l’épaule :

— Eh bien ! Racadot, tu dois avoir soif ? Allons boire un bock.

Racadot s’excusa sur ce qu’il était avec la Léontine ; Rœmerspacher, qui ne lui connaissait pas ces délicatesses, les força l’un et l’autre à accepter. Sturel, Suret-Lefort, Renaudin et Fanfournot les accompagnèrent précisément à cette brasserie de la rue Médicis, où plusieurs d’entre eux, pour la première fois, s’étaient rencontrés dans Paris. Mouchefrin avait disparu.

— C’est pourtant vrai ce que j’ai raconté ! dit Racadot.

— Ecoute, dit Rœmerspacher ; c’est oiseux de discuter si l’on doit se conduire d’après telle théorie. Fût-elle juste, il ne s’ensuit pas qu’elle soit une vérité qui nous influence. Ce qui détermine nos actes est plus profond, antérieur à nos acquisitions d’étudiants. Quand il s’agit de prendre une décision, ce que nous appelons « la vérité », c’est une façon de voir que nous tenons de nos parents, de notre petite enfance, de notre maîtresse, et qui par là possède