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LES PERPLEXITÉS DE FRANÇOIS STUREL

regard et son accent veulent dire : « Croyez-vous que c’est ennuyeux ! je me suis dérangé pour aider la justice : je viens volontiers, mais chacun ne devrait-il pas y mettre du sien ! » Cette diplomatie est inutile : les huissiers ne songent qu’à causer entre eux et avec les gardes ; leur curiosité blasée ne daigne pas démêler les innocents et les coupables. Racadot pensa que toute la sympathie qu’il inspirerait ne serait pas un fétu de paille dans le dur engrenage : et, quand même il fumerait des cigarettes avec les deux municipaux, ceux-ci ne sont là que pour l’arrêter au sortir de son audition, si le juge leur en donne mandat. Il se promena le long du couloir ; continuellement des avocats le croisaient, rats de prison qui trottinent allègrement dans leur domaine. À travers les vitres, il contempla la Sainte-Chapelle et surtout des passants qui ne semblaient pas jouir assez du bonheur d’être libres. Il s’efforçait d’oublier sa culpabilité pour se mettre exactement dans son rôle, pour être celui qui ignore les circonstances du drame, mais vient spontanément édifier la justice sur le caractère de la victime.

Qui donc pourrait le convaincre ?… Après le crime, et quand ils constatèrent que Boulogne est une souricière, ils s’étaient divisés. Racadot, avec bon sens, avait franchi de son pas le plus naturel l’octroi du Point-du-Jour, estimant que dans un passage si fréquenté les employés ne garderaient pas mémoire de sa physionomie. Et par surcroît, le lendemain, il prenait la précaution de se faire couper la barbe. La terreur rendit Mouchefrin absurde : il franchit le saut-de-loup du bois de Boulogne et courut dans le taillis. Et s’il avait été saisi