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LA VERTU SOCIALE D’UN CADAVRE

pour ne pas l’exacerber. Mais sa pensée rodait toujours vers le champ de la mort, sur la berge solitaire et décriée…

Il revécut une après-midi où sa promenade l’ayant conduit de Boulogne au Point-du-Jour par la Seine, il avait compris le sens de la petite fête suspecte et pauvre qui se tient en permanence dans l’espace soumis aux servitudes militaires. Une division de jeunes lycéens passait. Il y avait au premier rang un tout petit, de quatre ou cinq ans ; sa tunique trop grande, trop lourde, trop cuirassée surtout, ne se prêtait pas à ses membres débiles et souples ; elle lui faisait un gros harnachement dans le cou, quelque chose du bat d’un ânon et de l’habit d’un académicien. Son pantalon de drap superbe, trop long par prévoyance, traînait dans la poussière ; on lui montait sur les talons. Il était grave, pâlot et malheureux… Un peu après, soulevant un nuage avec leurs pieds faits à traîner sur des planchers, un atelier de modistes s’avançait, difformes, ignobles de vice, mais ivres de plein air et toutes prêtes à se mettre nues. Tristes dégénérées qui fêtent le jour de madame !… Une vache sur ses quatre pattes figure parmi des décombres, assistée d’un industriel qui la trait dans un verre, cependant que debout les consommateurs attendent… Des chevaux de bois animent de leur musique le public des guinguettes canailles… Tout ce décor vulgaire est serré entre la Seine et les fortifications, sur un terrain de gravats plus triste pour Sturel qu’au-dessus de la vallée du Hinnon la Colline du Mauvais Conseil où se pendit l’Iscariote. Mais par delà le fleuve qui travaille à charrier d’indéfinis convois de tonneaux, il y a du moins les courbes élé-