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LA VERTU SOCIALE D’UN CADAVRE

corbillard, marchaient des jardins de fleurs et les pouvoirs cabotinant de la Nation, et puis la Nation elle-même, orgueilleuse et naïve, touchante et ridicule, mais si sûre de servir l’idéal ! Notre fleuve français coula ainsi de midi à six heures, entre les berges immenses faites d’un peuple entassé depuis le trottoir, sur des tables, des échelles, des échafaudages, jusqu’aux toits. Qu’un tel phénomène d’union dans l’enthousiasme, puissant comme les plus grandes scènes de la nature, ait été déterminé pour remercier un poète-prophète, un vieil homme qui, par ses utopies, exaltait les cœurs, voilà qui doit susciter les plus ardentes espérances des amis de la France. Le son grave des marches funèbres allait dans ces masses profondes saisir les âmes disposées et marquer leur destinée. Gavroche, perché sur les réverbères, regardait passer la dépouille de son père indulgent et, par lui, s’élevait à une certaine notion du respect.

Cette foule où chacun porte en soi, appropriée à sa nature, une image de Hugo, conduit sa cendre de l’Arc de Triomphe au Panthéon. Chemin sans pareil ! Qui ne donnerait sa vie pour le parcourir cadavre ! Il va à l’ossuaire des grands hommes : — au caveau national et aux bibliothèques. — Ici, une fille légendaire sauva Paris, écarta les Barbares : c’est un même office qu’ont à perpétuer les écoles de la Montagne ; elles ont toujours à sauver la France, en lui donnant un principe d’action. Ici la jeunesse hérite de la tradition nationale et, en même temps, s’initie à l’état de la vérité dans le monde, aux efforts actuels de tous les peuples vers plus de civilisation. C’est ici, «depuis les bégaiements du XIIe siècle, que