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DÉRACINÉ, DÉCAPITÉ

tion, tandis que des avocats passaient avec l’importance de leur uniforme et la gaieté de leur camaraderie, combien il se sentait petit, débile, écrasé sous l’énorme combinaison des engrenages parisiens ! Parmi ces millions d’intérêts qui fonctionnent méthodiquement et sans qu’il y ait place pour un seul hasard dans leur apparent désordre, quelle résistance aurait-il pu tenter ? Quelques-uns penchaient à le traiter d’anarchiste. On doit reconnaître qu’il était en effet étranger à toute organisation, délié de tout groupement, et depuis le lycée dans la plus pénible anarchie. Mais, précisément, il fut sauvé parce que, au hasard de cette querelle d’idéologues, son sort se trouva intéresser les destinées d’un parti. L’évêque de Nancy le servit en prenant texte de la fameuse déclaration de Racadot pour flétrir dans un mandement une philosophie qui croit pouvoir trouver à la morale d’autres bases que la révélation.

Cette bonne fortune extérieure n’eût pourtant pas suffi. Dans tous les détours de l’intrigue judiciaire, Suret-Lefort se montra excellent. Il eut la puissance de se faire un front auprès de Racadot qu’il défendait et qu’il détermina à ne rien révéler ; auprès de Mouchefrin qu’il conseillait et dont il ne voulut pas être le confident ; auprès de Bouteiller qu’il contraignit à vingt démarches nouvelles en lui laissant admettre que Racadot et Mouchefrin, s’il les abandonnait, parleraient de son intervention en leur faveur à la caisse des fonds secrets. Il composa cette tragi-comédie avec un tel art qu’on put pressentir le grand parlementaire. Quand les agents de la sûreté, après avoir suivi toutes les pistes, dénichèrent aux mains d’une fille de Verdun le coffret qu’elle avait