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LES DÉRACINÉS

de ce maître s’enfonçait de plus en plus en eux et devenait une partie de leur chair ; elle leur commandait le plus violent désir de Paris. Enfin, leurs familles cédèrent, mais avec des sentiments bien divers. À madame Gallant de Saint-Phlin, il suffirait de se maintenir sans s’augmenter dans son petit-fils. François Sturel et Maurice Rœmerspacher ont de ces parents qui aiment à se voir agrandis, d’accord avec les transformations du siècle, dans leurs enfants. Et pour le photographe Mouchefrin, pour l’agent d’affaires Suret-Lefort, pour madame Renaudin et pour le père Racadot, le bonheur d’Antoine, de Georges, d’Alfred et d’Honoré serait que ces favorisés n’eussent absolument rien de commun avec les humbles qu’ils furent eux-mêmes. « Nous avons vécu chétivement, disent-ils ; si nos fils sont intelligents, leur existence contredira la nôtre. »

Pauvre Lorraine ! Patrie féconde dont nous venons d’entrevoir la force et la variété ! Mérite-t-elle qu’ils la quittent ainsi en bloc ? Comme elle sera vidée par leur départ ! Comme elle aurait droit que cette jeunesse s’épanouît en actes sur sa terre ! Quel effort démesuré on lui demande, s’il faut que, dans ses villages et petites villes, elle produise à nouveau des êtres intéressants, après que ces enfants qu’elle avait réussis s’en vont fortifier, comme tous, toujours, l’heureux Paris !